Une vingtaine de personnes muettes étaient sur les bancs, installées.

Le comité d’église au grand complet sauf Marcel un des diacres qui cuvait sa cuite au soleil, quelques paroissiens émus qu’on avait convoqués, le chef des chantres qui passait par hasard et deux ou trois autres personnes. On ne savait pas d’où elles venaient.

La porte ouverte au cas ou quelqu’un d’autre voudrait entrer ce qui n’était pas coutume pour un conseil d’église mais on avait du oublier.

Mal à l’aise, la Présidente prit la parole et parla du budget.

Elle n’alla pas bien loin car Roger, les autres ne savaient pas qu’il n’était plus leur Pasteur, écarta le vielle fille d’un geste agacé et descendit de l’estrade. Il installa une chaise devant tous, à leur hauteur, et leur parla en ces mots.

Mes amis, ce n’était plus « chers frères », nous n’allons pas aujourd’hui parler oboles ou organisation des activités comme nous le faisons d’habitude. Nous allons parler de ce que Dieu veut pour nous.

Madame Armande De Charrybe, principale donatrice de l’assemblée faillit en avaler son dentier. Il va nous parler de quoi ?

Jamais au grand jamais on n’avait entendu une prédication dans un conseil d’église. Il n’avait pas été constitué pour ça.

Les auditeurs n’osaient même pas se regarder et attendaient a suite ; Décidément, oui, il se passait quelque chose chose les pasteurs. Et puis, bouleverser le programme….

Les quelques autres, ceux dont on ne savait pas d’où ils venaient, étaient intéressés d’autant plus qu’ils ne savaient pas non plus pour quoi ils étaient venus.

Certains passaient par là, d’autres avaient vu les portes ouvertes, il y avait deux touristes à la recherche de statues qui n’en trouvant ici s’étaient assis quand même, et aussi le facteur ce jour là n’étant pas de tournée.

Tout le monde écoutait.

Cela nous changera de nos habitudes persifla pasteur Jo en lui-même. Jésus n’osait pas regarder.

Mes amis, repris l’ex avec un grand sourire, ce qui était rare chez lui, je vais vous annoncer une grande nouvelle. Jésus est revenu.

Bien sûr, les membres ne savaient pas ce que ça voulait dire mais la pilule était passé.

Pasteur Roger nous fit une prédication magistrale sur l’enlèvement de l’Église sans oublier aucun détails . Il raconta aussi que ceux qui n’étaient pas enlevés étaient bon pour l’enfer sans toutefois trop insister sur le feu qui y règne ; Il ne voulait pas trop les brusquer. Jo se rappela l’histoire du curé de Cucugnan d’Alphonse Daudet et failli éclater de rire.

Mes amis, Jésus est revenu hier soir et a emmené avec lui au ciel les membres de Son Église et vous pouvez d’ailleurs remarquer que nous ne sommes pas si nombreux cet après-midi. Là le pasteur en rajoutait un peu.

Pour ce qui me concerne, je n’ai pas voulu partir avec mes frères sans vous dire Adieu, et obtenu la permission de prendre un peu de retard et les rejoindrai ensuite.

Je reste jusqu’à dimanche pour saluer au culte les autres membres de cette assemblée et vous quitte définitivement.

Dimanche sera donc le dernier jour de rencontre car il n’y a plus d’Église. Il ne vous reste plus, vous qui restez, qu’à attendre le jugement dernier, ce qui ne saurait tarder et de vous débrouiller avec votre péché et avec le diable.

Sur ce, la réunion est terminée, vous pouvez rentrer chez vous et à dimanche.

Le pasteur se leva de sa chaise, la remis à sa place et sorti la tête haute sans même se retourner.

Pasteur Jo, lui, venait de prendre une belle leçon d’humilité car il avait cru une seconde pouvoir enseigner son pasteur sur la grâce.

Mais Dieu avait envoyé son Esprit sur son Enfant au moment où il en avait besoin. Le petit discours n’avait pas été prémédité.
Comme toujours et comme elles n’en avaient pas le choix, les ouailles sortirent de l’église assommées par ce poème qu’elles avaient un peu de mal à assimiler. Mais qu’est-ce qu’il a voulu dire ?

Et d’abord, c’est quoi cette histoire d’enlèvement de l’église. Il ne connaissaient ce mot qu’avec une minuscule.

Leur pasteur n’était pas fou et n’avais jamais paru en si bonne santé.

Quelques commères se rassemblèrent sur le parvis et cherchèrent à comprendre ce qui s’était passé. Le pasteur s’en allait, comme ça, sans raison et qu’est-ce qu’elles pouvaient avoir bien fait pour lui déplaire.

D’autres, dans les maisons, crurent qu’il avait dit qu’il partait en voyage mais n’avait pas donné publiquement au jeune pasteur Jo la charge de le remplacer. Que cachait tout cela ?

La femme du boulanger, une vipère notoire, avait vu Madame Martine pleurer et raconta à ses clients que le pasteur Principal partait avec une maîtresse. La nouvelle eut tôt fait de faire le tour du quartier et au-delà.

Le facteur, qui ne venait jamais à l’église alla spécialement à La Poste expliquer qu’il avait été à l’église et, sous les quolibets de ses copains farceurs, dit que dimanche, il y aurait une séance de baptême afin que tous soient sauvés.

Bref, dans toute la ville, on ne parlait plus que de cela.

Bien sûr, l’évêque en fut informé illico et épargna à nos frères la douloureuse annonce du départ de l’équipe pastorale et téléphonant sévère au Pasteur Principal pour demander quelques explications.

Roger, bonhomme, invita ce dernier à déjeuner pour dimanche et le prélat n’en sut davantage. Mais il était tout de même inquiet.

Il convoqua d’urgence une cellule de crise et envoya un mail à toutes les églises de la fédération leur demandant de compter les fidèles dimanche au cas où certains manqueraient. On ne sais jamais.

Il ne parla bien sûr pas de l’enlèvement présumé de l’Église auquel il ne croyait pas vraiment non plus et resta dans ses réflexions jusqu’à l’heure de rencontrer ses pairs car le remue-ménage qu’il y avait là bas lui laissait pressentir que quelque chose se préparait.

Ils se réunirent très vite.

Le soir même, devant un bon Cognac, ils n’avaient pas droit au cigare car chez eux ça ne se faisait pas, trois religieux réunis devisaient déjà de l’affaire
bien qu’elle ne fût pas officielle et qu’on ne sache pas ce qu’il se passait.

- Mais qu’est-ce que c’est cette histoire, le Pasteur Roger veut nous quitter ?
- C’est ce qu’on dit mais vous savez, les ouailles, ce qu’elles racontent…
- Il semble que nous devrions prendre cette affaire au sérieux.
Cela ne fait pas 4 heures qu’ils ont fini leur réunion du comité d’église et nous avons eu plusieurs coup de fils, des échos de la municipalité, et même le pasteur Rodolphe, de l’église Baptiste de la même ville m’a envoyé un mail pour me demander ce qu’il y avait chez nous.
- Oui, c’est vrai, le pasteur David de la fédération m’a aussi passé un coup de fil et il semble que ça barde. Il m’a demandé de le tenir informé parce que eux aussi se posent des questions et il faudrait aviser.

Les trois prélats, tout protestants qu’ils étaient, ne pouvaient pas concevoir la démission d’un pasteur, du moins de leur boutique, et n’imaginaient d’ailleurs pas que l’un d’entre eux pouvait protester. Ce mot ne veut plus rien dire, et de nos jours, à l’heure de l’œcuménisme, il n’y avait plus grand chose à contester du moins spirituellement.

Bon, Roger veut démissionner, soit. Mais quelle idée lui passe par la tête. Il a toujours été fidèle pourtant.

- Je me demande, risqua un des trois hommes qui n’avaient pas consulté Dieu, si ce n’est pas ce jeune qui lui aurait mis des idées dans la tête.
Je sais qu’il a déjà eu des histoires avec son ancienne fédération, et nous ne l’avons pris chez nous que parce que nous manquions de main d’œuvre. Les pasteurs se font de plus en plus rares.

- Ah ! C’était donc ça ! Triompha le prélat en chef qui commençait à comprendre. Justement, ce jeune homme….

Et voilà comment en quelques secondes, le pasteur Jo fut au centre d’une discussion qui fit de lui un renégat, un instable, un rebelle, un voleur, bref, un loup ravisseur qui avait monté la tête d’un pasteur et détruit une église.

Ils le croyaient vraiment.

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