Les deux pasteurs en prière luttaient.
Non pas contre Dieu, bien sûr, pas non plus pour arracher leurs "cinq pour cent" de force au seigneur, mais contre eux même se disant que si Dieu n’ouvrait plus la porte c’est qu’Il avait quelque chose à leur montrer. Il décrétèrent un jeûne.
Le jeûne permet de sortir de soi même. De renoncer à nos désirs, nos pensées, nos attentes que nous baptisons souvent bien hypocritement "volonté de Dieu". Permissive ou pas.
Jeûner, c’est renoncer à soi même, en plus des bons repas, c’est s’attendre à Dieu.
Quand tu jeûnes, plus rien n’a d’importance que la direction que Dieu a pour toi et tu sais que ton Guide ne se trompera pas. Il te montrera la voie que tu doit suivre.
Le pasteur Roger, habitué aux modes de financement traditionnels, considérait les aumônes et oboles du peuple comme allant de soi. Il avait été enseigné comme cela.
Pour lui, le fait que les gens donnent, même si il faut quelquefois les forcer un peu, était un signe de richesse spirituellement s’entend. Ne soyons pas mesquins.
Si l’argent rentre, c’est "que nous sommes dans la volonté de Dieu" . C’est du moins ce qu’il croyait et aussi pourquoi le Seigneur jugea utile de lui donner une petite leçon.
Jo, sur la question était plus réservé.
Il avait expérimenté déjà dans son parcours l’émotion de s’attendre au Père et se réjouissait du fait que le couple pastoral ait si facilement renoncé au salaire. Un très grand pas avait été fait assurément de ce côté.
Mais Jo non plus ne comprenait pas pourquoi la grâce avait subitement arrêtée de couler. Il fallait chercher la face de Dieu.
Trois jours de jeûne et de prière, soutenus par l’Église qui priait aussi, suffirent aux deux hommes pour prendre du ciel le nouveau cadeau qu’Il avait envoyé.
En fait, la jeune Église, encore mal affermie priait Dieu d’envoyer ce qu’il manquait de manne, mais les serviteurs voulaient savoir "pourquoi" le flot avait cessé. Jésus vint une fois de plus à leur aide.
Je ne vous dirais pas sur quel ton et comment il parlait, mais les pasteurs me racontèrent que le Maître avait expliqué, aussi paradoxal que cela puisse paraître, qu’ils comptaient trop sur la grâce, justement et qu’ils avaient déjà perdu la vision réelle de Dieu.
Ils avaient vu cet argent qui affluait, qui coulait, qui remplissait la caisse, en se prenant presque à croire qu’elle allait déborder, qu’on aurait de l’argent pour repeindre les murs de l’église et plein de chose encore comme des beaux projets.
Veaux, vaches, cochons, nous en avions plein l’escarcelle, regardez comme Dieu nous bénit !
Elle était là l’erreur. Ils criaient Gloire pour les dons mais déjà avaient oublié le donateur.
Comme ils étaient en veine, les deux pasteurs comprirent tout de suite (trois jours tout de même !) et demandèrent pardon.
Oh, pas d’une manière hypocrite, mais en considérant cette épreuve comme un enseignement, et il était prévu d’en faire un sermon pour dimanche pour exhorter le peuple comme ils le devaient. Ils n’étaient pourtant pas au bout de leurs peines. Nous le verrons très bientôt.
Un grand soulagement réconforta les deux hommes et ils mouraient d’envie de laisser là leur jeûne et d’aller demander aux frères où l’on en était avec les cinq pour cent. Mais le Saint Esprit ne les libéra pas tout de suite.
Cet argent, leur dit Dieu, je vais vous le donner, mais pas comme vous le croyez. Il vous faudra en plus faire un pas après l’autre. Les amis, inquiets, se regardèrent.
Mais qu’est-ce qu’Il veut dire grommela Roger au jeune homme qui l’accompagnait.
- Je ne sais pas avoua Jo.
Ils décidèrent de rester dans le secret encore quelques heures et la réponse ne se fit pas attendre. « Allez signer l’achat ! »
Mais ce n’est pas possible pleura Roger selon son habitude, nous ne savons même pas si toute la somme a été collectée.
Dieu les congédia d’une brève Parole : Allez-y voir !
Non, serait trop beau glissa Roger en douce à jo en prenant garde que le Seigneur n’entende. Tu ne vois pas qu’un compte manquerait.
Le binôme d’hommes de Dieu traversa la place et entra au café. Alors ?
- Nous n’avons rien reçu dit tristement un frère qui déjà n’y croyait presque plus.
Le cœur de nos amis chancela. Il fallait signer demain à neuf heures.
Ils se regardèrent et comprirent en même temps tous les deux que l’attitude de la foi était de Lui faire confiance. Jusqu’au bout. Ils iraient demain chez le notaire.
Toute l’Église ce soir là compris le message quand Jo expliqua aux frères ce qu’ils avaient reçu aujourd’hui et leur certitude pour demain. Abraham marchait lui aussi sans savoir où il allait. Nous ferions tous désormais de même.
Pendant la nuit, tous firent le même rêve. Dieu leur demandait : M’aime-tu ?
- Oui, Seigneur, je t’aime.
Dieu, trois fois, posa la question et, à la fin de l’interrogatoire, leur dit en souriant.
- C’est bien, alors, vous "devez" me faire confiance.
C’est donc d’un pas décidé que le lendemain matin les pasteurs prirent le chemin de l’étude notariale sise tout à coté.
La somme que vous devez, dit le tabellion après avoir fait signer deux tonnes de papier aux présents dans la salle s’élève exactement à…..
Heu, pourrions nous négocier ? Se lança Jo mal à l’aise car il n’avait pas trouvé le moindre billet sur le chemin. Roger liquéfié, se cachait dans son col roulé.
C’est à dire ? demanda le notaire soudain sévère comme une huître qui vient de se fermer.
Nous ne sommes pas sûrs d’avoir toute la somme, et ne pouvons demander un délais selon les accords conclus,
Il ne manque pas beaucoup à la somme dont nous disposons mais nous ne pouvons engager notre communauté, ni personne d’autre, dans le remboursement d’un crédit que nous n’avons pas la certitude de pouvoir honorer.
L’idéal serait que le vendeur nous consente un rabais mais nous ne voudrions pas marchander.
Mais quel culot ! Les deux pasteurs en rougirent de honte.
Mais combien avez-vous ? Questionna l’homme de loi plus conciliant.
- Nous avons telle somme.
Le rat d’étude repris ses papiers et une calculette qui datait au moins de Mathusalem mais il la reposa tout de suite, il savait très bien compter.
- Non, non, vous avez bien le compte. Nous pouvons procéder.
Jo et Roger échangèrent un regard et surent à cet instant que Dieu avait tenu sa promesse même si ce mystère n’était pas expliqué.
Une mauvaise pensée diabolique les fit douter un instant leur susurrant que le notaire avait fait une erreur dans ses calculs et qu’il allait s’en apercevoir. « Je vous ai eu » triompha le diable.
- Non, non, répéta le patient notaire qui en avait vu d’autres.
D’après les relevés, il vous manque un peu de la somme mais j’ai à vous remettre un chèque de la fédération qui, par soucis d’apaisement concernant certains problèmes passés que je ne connais pas, vous offre cinq pour cent de la totalité à leur devoir.
Plusieurs anges entrèrent par la fenêtre et tournoyèrent comme des fous dans la pièce en chantant mais seuls les croyants les entendirent. Nos pasteurs étaient estomaqués. Le notaire joyeux, et les représentants de la fédération risquèrent un sourire pincé.
En fait, pour qu’il n’y ait pas de vagues lors de cette "reprise des murs d’église" qu’ils étaient forcés de céder, les pontes de la fédération avaient proposé d’acheter le silence. Si ils avaient su combien le monde s’en fichait des leurs histoires !
En attendant, tout le monde était content et l’église de bistrot emménagea le soir même dans des murs qui appartenaient à tous. A tous ceux qui avaient cru en Dieu. A ceux qui avaient cru Dieu.
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