Pendant ce temps, il y en avait un qui n’avait rien perdu de la scène.

Gérard d’Orville, le vagabond qui était entré dans la ville il y a quelques jours avait sans avoir rien demandé à personne été dirigé vers l’Église.

D’habitude, il dormait à la belle étoile ou dans un centre d’accueil quand il faisait froid ou était malade.
A défaut, il frappait chez les curés qui le recevaient ou pas selon leur humeur du moment ou demandait pitance dans les fermes de la campagne. Qu’il soit reçu ou pas l’indifférait.

Il était SDF. Cela veut dire Sans Domicile Fixe.

Oh, pas qu’il ne veuille pas de logement confortable comme il en avait habité un par le passé mais, un peu dégoûté par la société dans laquelle il vivait, « La Haute » comme on dit, il avait un jour pris la route sans se retourner et sans savoir où il allait. Ne lui demandez pas pourquoi ; Il ne vous répondra pas. Mais, le savait-il lui-même ?

Il avait traversé le monde, roulant sa bosse sur les cinq continents, et quand il avait enfin compris que l’herbe n’était pas plus verte ailleurs, il était revenu dans sa province espérant jouer le fils prodigue. On l’avait oublié.

Il ne chercha pas à renouer avec ses connaissances, se retira discrètement sans saluer sa mère, et marcha tout droit devant lui.

Il traverserait des villes, des villages, des hameaux, des bourgades, des campagnes et n’aimait désormais que le chant des oiseaux. Le reste l’importait peu et il trouvait naturel de mendier son pain ou de donner un coup de main à l’occasion sans jamais demander rien en échange. Son but n’était que de passer le temps.

Ce soir là, il frappa à la porte de cette chapelle qui n’avait pas l’air d’être comme les autres. Il avait lu la pancarte, bien en vue, qui mentionnait cela.

- C’est quoi encore ces fous pensa-il car il avait vu bien des choses.

Le disciple qui lui ouvrit n’avait pas de robe de bure, ni de soutane, et n’avait pas l’air sévère que prennent les Protestants voyant arriver un bonhomme en haillons. Il remarqua aussi que la porte s’était grande ouverte et non entrebâillée comme chaque fois qu’il quémandait son pain.

- Vous cherchez quelqu’un ? Demanda le jeune homme au visiteur.
- Ben, je suis de passage et cherche un endroit pour dormir.

Il n’y a pas de centre d’accueil dans la ville, mentit-il car il n’en savait en fait rien, et la nuit est bien fraîche. Savez vous où je pourrais m’installer ?

D’habitude, dans ce cas, on vous envoie à la mairie, chez le curé ou à l’hôtel du coin en faisant mine de ne pas avoir remarqué votre tenue et votre misère, et seuls, quelques paysans prêtent un coin de grange et offrent un bout de saucisson. Quelquefois, de la soupe bien chaude réchauffe bien le cœur et on ne dit jamais Non.

- Entrez chez nous invita le portier et prenez votre aise. Je vais faire du café.

Resté seul dans l’Église, en fait la grande salle où on accueillait le public, Gérard inspecta ce drôle d’endroit.

Il savait bien sûr ce qu’était une église avec ses statues doucereuses et l’horrible Christ sur sa croix, mais là, ça ressemblait à autre chose. Seule une estrade trônait dans le fond et les chaises étaient entassées dans un coin de la pièce. Quelques bancs, rangés devant l’estrade invitaient à s’asseoir. Ce qu’il fit.

- Tiens, ils préparent un bal plaisanta-il avec un rictus entendu. Ils ont fait du ménage.

Pourtant, il était intrigué.

Le jeune l’avait laissé seul dans la place et, bien qu’il n’y ait rien apparemment à voler, il aurait  pu aussi bien visiter les autres pièces et faucher quelque chose. Cela n’aurait pas été la première fois.

Il remarqua aussi que l’ambiance était douce et sans la formalité qu’on trouve dans les églises. Ce coté un peu froid qui force à respecter.
Pas de cierges, pas de troncs, pas de livres de chants poussiéreux et de signes ostentatoires à part cette croix de bois toute simple qui ne se remarquait presque pas. Ce sont peut-être des témoins de Jéhovah craignit-il car il en avait déjà rencontré.

Il était perdu, là, dans ses pensées quand une main amicale toucha son épaule.

- Le café est prêt, dit-on, vous venez avec moi ?

Gérard suivi le jeune dans une autre pièce.

C’était tout simplement la cuisine où des fauteuils avaient été disposés et il n’avait encore jamais vu ça. Une cuisine salon !

Le jeune homme surprit le regard étonné et se justifia un peu timide.

- Oui, nous manquons de place ici et les pasteurs ne sont pas là pour vous recevoir.
Nous sommes en ce moment en train d’aménager une autre pièce spécifique pour recevoir les gens mais c’est encore plein de peinture. Alors, nous avons mis là ces fauteuils. L’explication suffisait.

Le gars lui dit qu’il n’y avait pas de problème et qu’il pourrait dormir à l’Église et se reposer au besoin avant de reprendre sa route. Ce soir, vous dînerez avec nous.

- Mais, vous m’avez dit que vous n’aviez pas de place répondit le mendiant en se demandant si on lui prêterait les fauteuils, il ne voudrais pas déranger.

- Quand je parle d’Église, répondit le disciple avec un œil malin, je ne veux pas dire ici mais dans la maison de l’un d’entre nous. Quoi que quand nous aurons fini les travaux, nous arrangerons de la place pour l’urgence.

- Oui, et ça ne va pas tarder et vous êtes notre premier client rigola Jo en entrant dans la cuisine. Bonjour, je suis Jo et vous connaissez déjà Baptiste.

Gérard d’Orville se leva mais on le fit se rasseoir. Je peux avoir du café questionna Jo en connaissant la réponse.

Il voulait en fait briser la glace car il savait que le nouveau venu se demandait dans quel endroit il était tombé et il fallait le rassurer. Surtout que du café, à cette heure…

- Bon, vous nous arrivez d’où ? Continua-t-il bien que cela ne le regardait pas, vous avez eu raison de venir. Justement je cherchais un locataire.

Il se garda bien de raconter son appel en ce sens mais mis tout de suite son invité à l’aise.

- Vous aimez les frites ?
- Un repas chaud, fit l’autre ne me déplairait pas mais je ne voudrais pas abuser.
Vous savez, j’ai l’habitude de me contenter d’un quignon de pain. Surtout le soir.
- Sans doute, mais aujourd’hui c’est moi qui régale le gourmanda Jo d’un air décidé. Tu viens avec nous Baptiste ?

- Oui, tout à l’heure répondit le disciple amusé, j’attends la relève de la permanence et vous rejoins aussitôt. Tu as ce qu’il faut pour faire coucher Monsieur ?
- Yes, mais une ou deux couvertures supplémentaires ne seraient pas plus mal d’autant plus que ce soir, ça va cailler dans les chaumières. Tu peux me prêter ça ?

Jo n’attendit pas la réponse et entraîna d’Orville vers son appartement à deux rues de là. Ils furent bien vite arrivés.

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Pendant ce temps les commères de la ville allaient bon train pour publier les nouvelles.

- Vous savez, susurra l’une d’elle, le Maire de la ville est entré dans la secte et on parle de le remplacer.

Le scoop s’était répandu comme une traînée de lave voulant tout brûler sur son passage.

Il n’y avait finalement rien à reprocher à l’Église bien que les autres communautés religieuses lui trouve quelques désagréments et on s’en prenait aux hommes. Georges Lapige, le Maire de la ville qui parlait désormais de Dieu fut une victime toute désignée pour l’affaire.
Il fut critiqué, calomnié, diffamé, étrillé, et, si on avait été à une autre époque, on l’aurait pendu haut et court.

Ce n’était pas l’envie qui en manquait à son adversaire politique, Gaétan Vachère, qui s’était trouvé relégué derrière le pilier lors de la dernière rencontre publique qui lui en voulait à mort sans savoir réellement pourquoi.

Bien sûr, il y avait les options politiques mais cela était de bonne guerre de se disputer un peu pour la façade. Sa haine était toute autre et depuis quelques jours déclarée.

- Je tiens là un bon moyen de l’abattre calcula-t-il content d’avoir enfin trouvé un point sur quoi l’attaquer, nous allons nous le manger tout cru.

Ce qu’il ne savait pas, c’est que l’amertume est mauvaise conseillère et qu’il est quelque peu risqué de toucher aux oints de Dieu. Aussi modestes soient-ils.

Et le presque futur député Gaétan Vachère prépara sa campagne.

Il fit le tour de ses connaissances qui auraient quelques intérêts d’écarter le Maire de la ville. Ce ne sont pas les grands noms qui manquaient dans son calepin.

Il soumis le cas à sa loge maçonnique mais nous n’avons jamais pu savoir ce qu’ils se sont racontés. Ces gens-là ont bien des secrets.

Toujours est-il que dans l’ombre, dans les plus hautes sphères de la province, et peut-être certaines  de l’Etat, un complot commença à s’ourdir et fut mise en place et une manœuvre visant à discréditer l’édile suggérant qu’il n’était plus digne de gérer une commune et devait rapidement être remplacé.

Mais laissons ici la politique et revenons dans l’appartement de Jo qui s’apprêtait à recevoir son premier client question hébergement et qui ne se demandait même pas si c’était juste ou non de laisser entrer quelqu’un  chez lui ainsi et peut-être le loup.
Ce n’était pas la première fois bien sûr qu’il accueillait un étranger autre que sa propre famille ou un ami de passage. Notre ami avait la fibre hospitalière mais avec des limites toutefois.

Combien de fois avait-il entendu parler de meurtres par des gens de mauvaise vie, de cambriolages par ruse, de profiteurs de tout genre ou d’arnaque à la solidarité.

En général, dans les églises, on donne un peu d’argent à ceux qui se dévouent, les encensant au passage, et on soutient une œuvre sociale parce qu’on n’a pas le choix. Notre conscience a tant besoin d’être bien apaisée.

Maintenant, emmener chez nous un va-nu-pied crasseux est au dessus de nos forces et la peur est plus forte que le fraternité.

Les ceux qui le pratiquent, savent qu’à leur insu ils ont logé des anges mais ce n’est pas pour cela qu’ils persévèrent. Ils le font parce que Dieu l’a commandé.

Jo n’en était pas à ces considérations et se demandait plutôt comment il allait entreprendre cette âme pour la conduite à Jésus.

D’habitude, c’était facile parce qu’il avait une estrade et le droit de regarder dans le cœur du public où bien le Saint-Esprit préparait le moment et c’était Lui qui parlait.

Mais ce coup ci, c’était une autre histoire. Il ne connaissait cet homme ni d’Ève ni d’Adam et un vagabond n’est pas un membre d’église. Il n’avait pas eu de temps de préparer un discours.
En outre, comment réagirait le type qui ne cherchait que le gîte et le couvert. Le forcerais-il à manger l’évangile ?

Il tourna sa pensée vers son Seigneur qui lui dit tout de suite.

« L’homme ne vivra pas de pain seulement mais de toutes Paroles qui sortent de la bouche de Dieu. »

Au moins, le message est clair pensa Jo dépité. Il eu préféré une idée pour amorcer son sermon.

Cependant, tout alla comme sur des roulettes. Le bonhomme écoutait ,ce qui ne veut pas dire qu’il tomba à genoux le premier soir, mais il n’était pas réfractaire. Ce n’était pas si mal.
Jo et Baptiste, qui s’était joint à eux pour le repas, se relayèrent pour tenir la conversations en faisant bien attention de ne pas brusquer le SDF. Les deux comprenait que si un vagabond vagabonde, c’est parce qu’il a été blessé là où il était et est particulièrement méfiant quand on lui parle d’amour.

Il y en a aussi qui la jouent hypocrite en disant « Amen » pour obtenir quelques avantages, car personne n’est plus cruche qu’un chrétien quand on fait mine d’accepter ses discours. On a déjà vu ça.
En fait, ils parlèrent comme si de rien n’était en considérant le drôle comme un type tout à fait normal et ne prêchèrent pas mais causèrent de Dieu de la façon habituelle. Sans en rajouter et ne cherchant pas plus à convaincre que ça.

Bien leur en prit d’ailleurs car Gérard d’Orville le prosélyte dira plus tard dans son témoignage qu’il avait écouté ces gens parce qu’ils étaient normaux et ne le bassinaient pas à coup de versets bibliques comme cela lui était arrivé quelquefois.

- Vous savez, quand on couche des fois chez les curés plaisantait-il souvent.

Si il ne découvrit pas le Royaume de Dieu le soir même, Gérard passa une très bonne nuit et au matin, pendant le petit déjeuner, ne savait pas comment avouer à son hôte qu’il remettrait bien ça.
Jo, lui, était à cent lieues de se douter que le gars voulait rester un peu.

Il fallut un concours de circonstance pour que l’intrigue se joue et que le plan de Dieu se mette en place. Certains pensent que Dieu est aussi plombier.

Ce qui se passa, c’est que ce matin-là, une fuite d’eau se déclara à la cave et qu’il n’y avait plus d’eau dans la maison. Le concierge eut tôt fait de prévenir ses résidents et on chercha vite un artisan.
Seulement, en trouver un n’était pas simple et on devait attendre qu’un tel revienne de son chantier. Ce n’était pas la joie.

Gérard trouva la son prétexte.

- Voulez-vous que je regarde ? dit-il faisant semblant d’être ennuyé.
- Ben dit Jo, vous y connaissez quelque chose ?
- Pas vraiment mais il m’arrive de donner la main pour me faire un peu de sous et, si ce n’est pas trop compliqué, peut-être pourrai-je vous rendre service.

Le mendiant fut embauché tout de suite et c’est de concert que tout le monde descendit à la cave pour tenter de réparer l’avarie. Ce qui fut fait dans l’heure parce qu’il n’y avait qu’un robinet à changer.

Le concierge, content de s’en tirer à si bon compte, paya un café au plombier d’occasion et à Jo qui suivait, et, tout naturellement la discussion tourna au sujet des jobs temporaires et des service aux particuliers.
Justement, une voisine lui avait demandé de protéger son installation du gel et, comme il n’avait pas de temps, peut-être puisque vous avez l’air de vous y connaitre…

En fait, il n’y avait pas d’urgence mais le concierge était bon.

Il n’osait pas donner la pièce à l’homme peu pressé de peur de le vexer et se doutait bien qu’il avait des besoins. Son petit stratagème occupa Gérard d’Orville le reste de la matinée.

Tout naturellement, il déjeuna à l’Église avec les pasteurs et quelques disciples qui rôdaient dans le coin, et finalement L’invité fut convié à une nouvelle nuit.

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