Ce n’étaient plus seulement leurs pasteurs mais les frères de l’Église de la ville qui avaient maintenant compris qu’ils n’auraient rien à attendre d’une relation avec les religieux de la ville qu’ils soient des vrais convertis ou non.

Ils savaient qu’une chape de condamnation pesait sur leurs têtes aux yeux de tous ces gens et, si cela ne les inquiétait pas outre mesure, ils savaient en qui ils avaient cru, et ce qui les tracassait d’avantage était que ceux que nous appellerons les « chrétiens d’églises », par opposition aux « disciples », les évitaient dans la rue car apparemment ils avaient reçu la  consigne de les considérer comme étant d’une religion étrangère.

Ils en riaient entre-eux et ne leur en voulaient pas, mais tout de même, être traités de pestiférés ne leur plaisait pas trop, et ils se consolaient en constatant que « le monde », c’est à dire les gens extérieurs aux églises, les laissaient en paix bien que se moquant d’eux un peu quelquefois.

Ils n’étaient pas comme les témoins de Jéhovah qui eux étaient détestés à cause de leur insistance à toujours frapper aux portes et caser leurs revues qui racontaient qu’ils étaient les seuls à avoir la vérité mais ils ne trompaient que bien peu de monde.
Les habitants de la ville voyaient bien qu’ils étaient "à part" et ne leur pardonnaient pas d’avoir emprisonnés les membres de certaines familles dans une cage dorée qui avait fait d’eux des clones sans personnalité. A part d’être « casse bonbon » mais cela ne regardait qu’eux, on ne disait rien de particulier à leur sujet.

Pour les autres chapelles, tout ce qui n’était pas catholique semblait de toute façon suspect et, ce n’était pas seulement la sympathie du voisinage accordée à l’équipe qui intéressait les citadins, mais les nombreux témoignages de vies changées et surtout cette prédication qui touchait les cœurs au lieu de les exaspérer.

Il faut dire que si beaucoup d’églises évangéliques faisaient du bruit à l’intérieur de leurs murs, sauf les baptistes évidemment, on n’en parlait guère, et les habitants des quartiers ne savaient même pas qu’elles existaient. La discrétion était de rigueur.

Seule, l’assemblée de la fédération ADDF faisait parler d’elle à cause de certains scandales dont on parlait sans jamais savoir ce qui se passait exactement car une espèce d’omerta jouait en faveur du silence et, quand un chrétien voulait en parler, on assurait que l’église de Corinthe aux temps néotestamentaires vivait bien des tourments et que c’était normal comme cela. Les adeptes avaient fini par l’admettre.

Pourtant, un jour, une fuite sur internet à propos de la démission d’un pasteur qui avait rédigé une lettre publique pour dénoncer des pratiques peu avouables avait fait bien du remous, mais l’homme se rétracta vite et l’affaire fut étouffée. Comme d’habitude.

Cela dit, les membres de cette église chantaient bien fort, un peu trop même aux dires de certains, et avaient l’air heureux mais certains disent que ce n’est qu’en apparence.

Un jour, un membre de cette assemblée, prenant le bus pour se rendre à l’église, avait vu monter dans la voiture une sœur en Christ qui avait une particularité.
Elle était connue pour afficher en permanence un grand sourire lumineux, et c’est vrai que sa constante bonne humeur mettait en joie même les plus dépressifs bien qu’il n’y en eut officiellement aucun dans cette merveilleuse assemblée.

Pourtant, notre homme, la regardant monter, eut le pressentiment qu’il y avait quelque chose de changé et, plutôt que d’aller vers elle la saluer comme d’habitude, resta intrigué dans son coin à l’observer discrètement.

L’arrêt du bus se faisait justement devant l’église et à ce moment précis, le visage de la fille s’éclaira et retrouva le sourire enjoué qu’on lui connaissait si bien.
Elle descendit du véhicule toute joyeuse, et cela suffit à notre ami pour comprendre ce  que voulait dire le mot « façade ».

Dans ce même lieu, une autre sœur partit un jour faire une école biblique et, à son retour six mois après, elle alla saluer le pasteur toute fière de son beau diplôme pensant être félicitée. Mais le pasteur lui dit….

- Ah, tu reviens, je ne m’était pas rendu compte que tu étais partie.

La môme prit une claque et le pasteur continua son ministère sans se rendre compte qu’il avait giflé une de ses brebis.

Trois fois par semaine, il priait et imposait les mains aux mêmes personnes en recherche de guérison et le garçon dont nous parlions tout à heure affirme avoir vu cette scène se répéter pendant un an et à chaque appel de toutes les réunions à la fin desquelles la moitié de l’assemblée se levait pour recevoir la prière.

Ils n’étaient par conséquent jamais guéris et et ne voyaient même pas que toutes ces simagrées n’avaient pas plus de valeur qu’un coup de goupillon et qu’il ne s’agissait que de religiosité malsaine.

Pour les dîmes et les offrandes, cela fonctionnait plutôt car, dans la plupart des cas, comme on leur avait expliqué que plus ils donnaient plus ils deviendraient riches et bien portants, ces gens donnaient un maximum et, pour booster encore plus l’affaire, la fédération avait mis au point une technique imparable.

Chaque mois, elle affichait sur la porte de l’église le nom de sa succursale qui avait recueilli les meilleurs offrandes et aussi institué un système de classement qui devait bien amuser quelqu’un que je connais : Afficher plus pour gagner plus. Lol !

Dans ce milieu, il paraît qu’une mauvaise langue aurait dit que "C’est plus facile de faire de l’argent que des disciples."

Cette fédération étant une des plus puissante dans l’univers évangélique français, elle était respectée à défaut d’être aimée car c’est bien connu, ce sont les riches qui sont toujours à la première place.

L’orgueil des dirigeants se reflétait sur le caractère des membres et, quand deux chrétiens se rencontraient dans une ville, celui qui n’était pas ADDF était regardé de haut d’une façon bien peu fraternelle.
Lorsque ceux de l’équipe à Jo faisaient de telles rencontres, ils étaient toujours sur le qui vive car immanquablement, on leur disait que leurs pasteurs n’étaient pas en règle avec Dieu puisqu’ils n’émargeaient à aucune fédération et qu’ils devraient venir chez eux car hors des ADDF il n’y a point de Salut.

Bien sûr, ils ne disaient pas les choses comme cela mais finalement avaient le même discours que les catholiques, les témoins de Jéhovah, les mormons et…les baptistes, à savoir que pour être sauvé, il ne fallait surtout pas aller prier chez les autres.
Mais les disciples de Jo s’en fichaient car pour eux, ils savaient que ce n’est pas une religion qui sauve, fut-elle évangélique, mais de faire la volonté du Père et d’avoir en conséquence une relation personnelle avec Lui.

Le reste n’était que blabla et celui qui dit viens dans « ma » boutique n’a en fait rien compris à l’histoire sinon il ne le dirait pas.
Ils aimaient leur Église et se souciaient peu de savoir si l’une ou l’autre des dénominations avait raison ou pas et ce qui les intéressait était, quand ils rencontraient un «frère  d’une autre structure, de savoir s’il était aimant ou ne prêchait que sa propre paroisse.

Ils étaient assez mal vus des pasteurs des autres structures ecclésiales mais ils s’en moquaient car eux aimaient pour deux, quel que soit l’accueil qui leur était réservé.

Le dimanche, quand ils visitaient ces églises, ils savaient qu’ils ne serait jamais bien reçus, souvent avec de la méfiance, car on disait d’eux qu’ils venaient surtout pour détourner les fidèles et un incident se produisit, justement dans l’assemblée ADDF, que deux disciples étaient venus visiter.
Au moment de la louange, propice en général à l’exercice des dons spirituels où chacun priait en langue aussi fort que possible, il était très fréquent d’entendre des prophéties, c’est à dire un oracle de Dieu par la bouche d’un de ses Enfants en pleine effusion dite « de l’Esprit ».

Bien sûr, il n’était pas rare que l’une ou l’autre soit de temps en temps charnelle, voire démoniaque, mais les pasteurs laissaient faire car, comme ils disaient, « si on ne les laisse pas prophétiser, ils iront prophétiser ailleurs ».
C’était donc chaque dimanche un concert de « L’éternel a dit », « Dieu te parle mon enfant », ou « Dieu te parle Ô toi qui vis dans le péché d’adultère etc … ».

Il y avait aussi les bonne nouvelles dans le genre « Dieu te délivre d’un cancer au poumon droit » ou « Tu trouveras une épouse dans les temps qui viennent » mais aussi des malédictions qui servaient quelquefois à régler des comptes entre membres et c’est ce qui ce passa ce jour-là.

Un don spirituel porté a très haute voix par un ancien de l’église, ce qui ne donnait que plus de poids au message de Dieu, parla en ces termes.

« Ô toi qui m’écoute et ne m’écoute pas.
Sais-tu que du haut des cieux je veille sur mon troupeau et que les loups ravisseurs me craignent ?

Qui es-tu, toi, pour braver mon interdit et venir dans la bergerie séduire les âmes que j’ai sauvées par le Sang de l’Agneau versé pour toi à la Croix de Golgotha en haut de ce calvaire ?

Je les ai donnée à paître à mes bergers fidèles qui s’occupent d’elles avec l’amour que je leur ai donné et nul ne les ravira de Ma main.

Tu es venu, accompagné de ton fidèle, pour ravir du troupeau les plus tendres de Mes brebis, mais je ne le permettrai pas et je prononce sur toi une malédiction qui emportera dans la géhenne ton cœur mauvais et tes complices qui ne sont pas dignes de s’asseoir sur le marchepied de mon trône de grâce.

Arrière Satan, retourne dans ton royaume !
Je te jette dans l’étang de feu qui t’est réservé pour la nuit des temps et avec toi tes reîtres et démons de l’enfer.

Ainsi a parlé l’Éternel, Amen !"

Un grand silence se fit dans la salle soudainement glacée et les deux cent cinquante six personnes composant l’assemblée surent que l’ancien avait parlé pour les deux visiteurs.

Les deux disciples, sans se regarder, sentirent une chape de plomb sur leurs épaules et un orage de ténèbres attaquer leurs âmes tentant des les enserrer dans des griffes d’acier. Il fallait réagir.

Ils pouvaient faire ceux qui n’avaient rien entendu, ce qui aurait été un mensonge, se retirer discrètement ou se faire oublier, ils pouvaient croire que c’est vraiment Dieu qui avait parlé et ils pouvaient aussi ne pas se laisser faire.

Le plus ferme d’entre eux, sans qu’on l’ait autorisé, pris la parole et dit :

- Que faire donc, frères?
Lorsque vous vous assemblez, les uns ou les autres parmi vous ont-ils un cantique, une instruction, une révélation, une langue, une interprétation ?

Les esprits des prophètes sont soumis aux prophètes, que deux ou trois parlent,

Notre frère a donné un don spirituel qui semble être la voix même de Dieu qui parlait à des personnes bien précises dans la salle et la Parole nous enseigne que les autres doivent juger mais que tout se fasse avec bienséance et avec ordre afin que tout se fasse pour l’édification.

Personnellement, nous ne reconnaissons pas ce don comme venant de Dieu car Son Esprit convainc et ne maudit jamais de cette manière d’autant plus que nous savons que ce message nous était adressé bien que nous soyons venus avec la paix.

Selon ce qui est écrit, je demande aux autres frères de l’assemblée d’examiner et de discerner si cette soi-disant prophétie vient de la bouche de Dieu ou non. Avez-vous cette certitude ?
Les autres membres de l’église gardèrent la tête baissée et le silence d’autant plus qu’ils connaissaient les enjeux de l’histoire et connaissaient leur prophète attitré comme prophétisant trop souvent en vain et ne pouvaient absolument pas affirmer que ses messages, tout spirituels qu’ils soient venaient de Dieu Lui-même.

De plus, c’était bien la première fois qu’on leur demandait de juger une prophétie et personne n’osa répondre et se mettre du côté de ce prophète qu’ils détestaient tous car un peu trop pédant et trop proche des pasteurs qui le chouchoutaient car il était fort riche. Personne ne parla.

Les jeunes disciples avaient vaincu le diable.

Profitant de leur avancée, ils s’adressaient directement au Pasteur Principal de l’assemblée et lui dirent en ces termes…

- Monsieur le pasteur
Personne dans l’assemblée n’a reconnu ce message comme venant de Dieu et nous voudrions votre avis afin de décider ce que nous allons en faire. Qu’en pensez-vous ?

Le pasteur Principal, rouge de colère, ne voulu pas prendre le risque d’être désavoué par  son église et n’eut d’autre choix que de donner raison aux visiteurs qui, se l’assurait-il, ne l’emporteraient pas au paradis et qu’il verrait bien à ne pas les laisser chasser sur « ses » terres.

- Mes amis, grogna-il, il n’avait pas dit « mes frères », la Parole doit être respectée et le discernement de l’église l’emporte. je ne peux donc pas moi-même accepter ce don spirituel. Notre frère fera mieux la prochaine fois.

Jésus se dit

- Tiens, c’est ce frère qui se prévaut de la qualité des dons spirituels ici ?

A la sortie de l’église, à la fin du culte, sous l’œil menaçant du faux conseil presbytéral de la place, les courageux disciples furent entourés par quelques membres qui leur dirent qu’ils avaient été touchés par ce témoignage car personne jusqu’à présent n’avaient mis en application ce qui était écrit et cela leur manquait quelque fois.
Ils furent discrètement invités à déjeuner par un des chrétiens de l’église et on se sépara.

- Ce que tu crains, c’est ce qui t’arrive souffla mesquinement le diable dans le dos du Pasteur Principal.

Ce dernier rentra chez lui piteux en grondant sa femme parce qu’elle avait laissé des membres parler avec ces apostats, et c’était son devoir de veiller sur "ses" membres après les réunions. C’est dire si il était de mauvaise humeur.

Pendant tout le repas, le Pasteur principal de l’assemblée ADDF de la ville pesta à n’en plus finir et souhaita le malheur à ces faux serviteurs de Dieu qui venaient pécher les âmes dans les églises voisines. La fédération serait prévenue, le conseil de la Pastorale requis, et on verrait bien si ces blancs becs feraient long feu dans le coin. Le territoire lui appartenait.

Joëlle, sa femme, se dit que demain elle irait en douce rencontrer Jo et Roger.

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