Jo prit le parti de laisser faire et surtout voir venir.

On lui avait appris, et il l'apprenait à son tour à ses ouailles, à être soumis à ses supérieurs en toutes choses. Même à leurs idées.
Il aurait bien encore voulu faire un peu de révolution, mais ses nouveaux amis lui avaient assuré qu'il ne gagnerait pas grand chose en sortant du rang. "On ne change pas une institution" déclaraient-ils sagement.

  Nos églises sont pleines, et, si il en est quelques uns qui n'ont pas très bien compris la foi, le Seigneur les éclairera. Ils sont bien mieux sur les bancs de l'église qu'au bistrot, et, tu sais, il faut bien se garder de ne pas séparer le bon grain de l'ivraie. Tout pousse en même temps et Dieu connait les cœurs.
Ces leçons ne profitaient guère à Jo qui n'était pas convaincu. Il se réfugiait le soir auprès de Jésus qui se taisait toujours quand on abordait ces sujets sensibles.

- Obéir, c'est ce que tu veux non ? Alors, j'obéis.

Le temps arriva où le Pasteur principal commença à confier à Jo quelques petites tâches, et il put enfin aller discuter un peu avec les gens la communauté. Après deux ou trois rencontres, il savait tout des cancans habituels aux assemblées de ce type.
Les petites histoires, fausses ou vraies ne l'intéressaient pas vraiment, mais il fallait les écouter ne serait-ce que pour faire plaisir aux fidèles qui, d'après ce qu'il entendait à droite et à gauche ne l'étaient pas toujours.

Il était tout de même étonné, car sa nouvelle église avait la réputation d'être une des plus éveillée de la région . Le réveil ! Ce mot était celui qui était le plus prononcé dans cette dénomination.
Désormais bien au clair des faits et gestes de la plupart des membres de la congrégation, Jo pouvait les voir maintenant d'une autre manière et, s
i il ne les comprenait pas, ne les jugeait pas, ne les condamnait surtout pas, il ne pouvait s'empêcher de penser que certains étaient bien gonflés de jouer les spirituels le dimanche car fréquentant pour certains le samedi des gens et des endroits fort peu recommandables.
Enfin ! se disait-il, on voit cela dans les meilleures assemblées.

Ce qui le gênait, c'est que le diacre, alcoolique notoire qui battait sa femme, était si bien habillé. L'habit ne fait pas le diacre ironisait-il un peu piteusement.
Le chef des chantres, lui, virtuose de la guitare électrique, jouait en semaine dans un groupe de rock très réputé dans la région. Il disait évangéliser ses copains mais on ne les voyait pas souvent à l'église et un mini scandale éclata quand ce petit monde fut impliqué dans un trafic de drogue mais à l'office on n'en parla point. C'est comme si rien ne c'était passé.

Madame Lelouis, fervente et assidue aux réunions de prières, avait dans son salon des reliquats de son Catholicisme passé. Statues de la vierge, crucifix dorés et autres angelots de pacotille qui, si ils n'eussent été évangéliques auraient bien fait rougir un saint. Il n'avait pas osé aborder la question.
Question concubinage, trois couples au moins dans l'église vivaient heureux comme ça et personne ne leur disait rien.

- Il faudrait en parler au Pasteur, se dit Jo avec tristesse.

Bref, les réunions succédaient aux réunions, toujours le même rite, et il n'était pas question d'en changer parce que c'était bien comme cela.

Quatre ou cinq chants pour mettre l'ambiance ou pour chauffer la salle comme disaient les pasteurs entre eux, une longue prière, toujours la même, quarante minutes de prédication mais pas plus pour ne pas abuser.
Les rencontres se terminaient toujours par un appel. Appel à la repentance, appel à la conversion, appel à la guérison et à tout autres problèmes que Dieu peut traiter à notre place; Ce qui ne marchait pas d'ailleurs car c'était toujours les mêmes personnes qui se présentaient à l'imposition des mains. On se demande ce que fait Jésus soupira Jo. Jésus, aussi soupirait mais notre ami ne le savait pas.

Un jour, pourtant,il se passa quelque chose.
Mireille, la fille d'un ancien, se trouva enceinte d'un galopin de la bande de drogués qui avaient fait parler d'eux quelques semaines auparavant. Aie ! En voilà un problème.
C'eut été dans "le monde", la chose serait passée inaperçue, mais dans l'église...
On réfléchit aux diverses possibilité de régler cette affaire en urgence car cela ne pouvait attendre. Personne ne savait rien mais tout le monde en parlait. Allait-on avorter ?

Cette solution, préférée cela s'est dit par les parents de la belle, ne pouvait convenir. La fille tenait à son amant et un mariage impie ne pouvait se célébrer dans ce lieu de culte connu dans toute la région. Les pasteurs, réunis en synode débattirent de la question.

- Si encore il venait à l'église dit le Pasteur en chef.
- Oui, mais il ne vient pas dit son second prudemment, qu'en pensez vous Jo ?

Jo, pasteur en son âme et fidèle à son Seigneur se trouva bien embêté; Que fallait-il répondre ?

- Nous pourrions, hasardât-il humblement, attendre un peu voir comme se font les choses...
- Mais vous n'y pensez pas, gronda le Pasteur Principal, elle sera bientôt grosse, et, si nous attendons trop, il ne sera plus possible de la faire avorter.

Le Pasteur avait dit une bêtise. Il se mordit les lèvres et on ne l'entendit plus. Jo, secrètement, sentit son cœur saigner.

- Prions, mes frères s'entendit-il proposer. Jésus ne voulut pas répondre. Il resta silencieux.

Finalement, il fut décidé que le pasteur Jo parlerait au jeune homme. Qu'allait-il lui raconter ?
Mission délicate si il en faut, il fallait qu'il sauve le monde. Il parlerait de Jésus, de la foi, du Paradis et obtiendrait peut-être que l'autre se convertisse. Tout pourrait s'arranger. Il demanda à son Seigneur de faire ce miracle.

- Non répliqua Jésus.

Devant son air interrogateur, Jésus expliqua qu'il ne répondait pas à ce genre de prières.

- C'est pour la Gloire de mon Père que j'ai tout pouvoir; pas pour dissimuler le péché et la folie des hommes. Cette fois, je ne ferais rien pour toi.

Jo revint presque bredouille de son entrevue.
Prétextant l'hypocrisie des membres du clergé et de certains paroissiens, le gars ne rentrerait jamais dans cette église; Comme il avait raison !
Jo insista et gagna le garçon par les sentiments; Il risquait de perdre la fille. Le marchandage débuta.
Après un long combat, des transactions secrètes et des concessions de part et d'autre, une solution fut trouvée. Jo regagna l'église et et parla au Pasteur.

- Alors, quelles nouvelles ?
- Il accepte de se faire baptiser fit Jo en espérant.
- Mais nous sommes sauvés ! Se réjouit le Pasteur en chef oubliant que l'autre était un garnement.
- Mais, connaît-il Dieu au moins ? tenta encore Jo dépité.
- Il sera toujours à temps de se convertir par la suite termina l'homme d'église avec autorité. Bravo Jo, vous avez fait du bon travail. Vous êtes des nôtres à présent.

Oui, je suis des vôtres pensa Jo amèrement.

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Chapitre 5 ou La souffrance

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