Le Pasteur Jo gara sa petite auto sur le trottoir d’en face.

La Lumière diffuse, derrière les carreaux, indiquait une présence dans la maison du chrétien, et c’est avec joie que le ministre releva le col de sa veste pour se protéger du vent. Ce mois de décembre était particulièrement frisquet.

  Le charbon du bougnat n’ayant pas été réglé le mois dernier, Jo pensa qu’il serait utile de faire encore un appel à l’offrande du culte de dimanche.

- Enfin, pensa-t-il, si le Seigneur est bon, les enfants seront chauffés. Mais, avions nous tant besoin de cette nouvelle chaire ? Et puis, il va falloir encore que je me dispute avec Madame Schneider pour qu’elle m’avance trois sous pour payer le libraire. Il traversa la rue.

La porte des Jiménez était fièrement décorée d’un poisson multicolore qui faisait un peu tâche quand on savait ce que Louis faisait endurer à sa femme.
Heureusement que ses voisins ne savent pas ce que cela veut dire, pensait Jo, et notre homme se garde bien d’aller leur prêcher l’évangile; Finalement, c’est peut-être mieux comme cela. Il frappa du heurtoir.
Les pleurs d’enfant cessèrent et la porte s’ouvrit.

- Pasteur Jo, on ne vous attendait plus , mentit Louis avec son plus beau sourire. Passez donc et ne laissez pas le froid entrer; Le charbon est hors de prix cette année, et nous sommes si pauvres.

Je le sais, pensa Jo humblement, si encore il savait avec quoi je me chauffe…

Madame Jiménez, Maria, avait les yeux rougis. Son mécréant l’avait encore battue mais, que fallait-il faire, que dire, comment le lui dire ?
Maria avait rencontré le Pasteur il y a quelques mois. Elle avait confié sa peine, versé des larmes, raconté sa vie, mais la compassion ne répare pas toujours une existence brisée. Elle avait confié sa fatigue, son désespoir, parlé de s’en aller mais, séparerons nous ce que Dieu a uni ? Jo s’était détesté de ne pas lui dire ce qu’il avait sur le cœur. Il en avait parlé à l’évêque, mais l’évêque ne voulait pas entendre parler d’un divorce dans l’église; Il fallait patienter.

- Asseyez vous donc Pasteur, donnez moi votre veste. Vous prendrez bien quelque chose de chaud. Jo se posa.

Une tête d’enfant parut à l’encoignure de la porte. Le ministre sourit. Un rayon de soleil, un peu amer, traversa son âme. Qu’allons nous faire de lui ?
Le père chassa le gosse d’un regard. Le Pasteur allait encore le sermonner, comme à son habitude, et il n’avait pas besoin de témoin. Comment allait-il s’en tirer cette fois.
Maria posa les verres sur la table, et "le quelque chose de chaud", vin rouge de piètre qualité, fut servi aux deux hommes qui, gênés autant l’un que l’autre, ne savaient quoi se dire ni par où commencer.

- Avez-vous lu le dernier bulletin paroissial risqua Jo sans conviction.
- Ma femme m’en a parlé répondit l’autre, finaud, sans trop s’avancer et redoutant la suite des événements.

Jo, encore se détestait. Il pria le ciel de lui accorder une chance. Jésus, aide moi, aide moi si il te plaît. Jésus resta muet.
Ils parlèrent de tout et de rien, surtout de rien, et Jo décida brusquement de passer à l’offensive. Cette fois, il ne faiblirait pas. Bien que le diable lui souffla que l’enfant et Maria trinqueraient après son départ, il dit mine de rien:

- Alors Louis, et ce nouveau boulot?

Il n’écouta pas la réponse, il la connaissait par cœur, et il se demandait encore comment il poursuivrait l’estocade quand Dieu enfin vint à son secours.

- Voilà ce que nous allons faire. Tu te mets au travail, et je dis à ta femme de ne pas s’en aller.

Ils se regardèrent tous les trois ahuris. Comment ai-je pu dire une chose pareille pensa Jo affolé par tant de hardiesse jamais préméditée. Seigneur, si c’est toi, gagnons la bataille, sinon, sauve moi.
Louis soudain réalisa sa vie. Il ne pensait plus, il ne savait plus, il avait pris une vérité en plein cœur et déjà n’était plus le même. Jo, conscient de son avantage, exigea. Prions !

Le St Esprit fit le reste et visita l’homme convaincu de péché avec douceur.
Nos trois amis, courbés sous la puissante main de Dieu firent silence, et laissèrent le mal s’en aller.
Mille anges dans le ciel chantèrent la Louange du Seigneur, une joie impossible envahit la maison, et quand enfin l’onction de Dieu passa, trois frères et sœur se trouvèrent unis dans une même paix. Celle qu’ils n’avaient encore jamais connue ensemble.

Plus tard, Jo quitta la demeure et remercia son Seigneur avec des mots qu’il était le seul à savoir prononcer. Oh Jésus, encore un dans ta maison. Merci pour cette grâce. Merci de l’avoir fait. Jésus Lui répondit.

- Non, tu l’as fait
- Je l’ai fais ?
- Oui, tu l’as fait. Tu as parlé; C’est que je te demande.

Jo rentra chez lui intrigué.

Quelque chose de nouveau s’était manifesté dans son existence.
D’abord, cette guérison quasi miraculeuse. Jiménez était un sacré bonhomme.
Mais moi, se dit-il, que n’est-il arrivé ? Le plus touché des deux, n’est pas celui qu’on pense. Jamais je n’ai parlé à un de mes paroissiens comme cela. Si l’évêque savait…

Il avait bien entendu parler ci et là, au grès du ministère, de guérison intérieure, de cure d’âme, d’imposition des mains, de vies changées mais, si du haut de la chaire on causait de cela, il était bien rare de voir, dans son église, des gens changer de si simple façon.
Certes, lui aussi il imposait les mains, il chassait les démons tous les dimanches, au nom de Jésus, comme on lui avait appris à l’école pastorale, mais ça ne marchait jamais. Il se gardait bien d’en parler à quiconque et voyait bien toujours les mêmes revenir. Lors des rencontres, entre pasteurs, on disait que c’est à cause du péché.

En tout cas, Jo était bouleversé au point qu’il n’en dormit pas de la nuit. Il ne s’expliquait pas pourquoi cette fois-ci tout avait marché à merveille et il avait entendu Le Seigneur lui parler d’une chose nouvelle.

- Oui, tu l’as fait, c’est ce que je te demande.

Il chercha la face de Dieu. Un verset, sans cesse répété, lui disait: "Je veux l’obéissance plutôt que le sacrifice."

- Mais Seigneur, je t’obéis depuis ma conversion, vois, j’ai laissé mon métier pour te servir, j’ai fait ceci, j’ai fait cela et encore…
- Je veux l’obéissance plutôt que le sacrifice dit le Seigneur.
- Je ne comprends pas

Jésus lui dit: "Cherche plutôt dans ce que tu ne fais pas"
Jo réalisa alors qu’à propos de Jiménez, il aurait du se décider bien plus tôt. Les mois passèrent.

ichtus-mini

Un jour de grande convention, Jo fut mandé pour un court témoignage devant l’assemblée des frères et, sans citer aucun nom, raconta son miracle sans trop oser croire que ses pairs entendraient. Il finissait son discours quand Jésus lui parla.

- Tu ne leur a pas dit comment tu avais fait
- Co-comment j’ai fait ?
- Oui, c’est en disant la vérité à Jiménez que tu as obtenu la guérison. La Vérité vous rendra libre !
- Mais Seigneur, ils ne font pas comme cela, ils n’écouteront pas…
- Je veux l’obéissance plutôt que le sacrifice.

Notre ami Jo parla.

Non seulement il ne fut pas écouté, mais un malaise semblait s’être emparé de la congrégation, et les Serviteurs eux mêmes évitaient ses regards sans cacher leur animosité envers les techniques un peu particulières de ce blanc-bec prétentieux qui se prenait pour Billy Graham.
Jo se sentit attristé. La suite de son histoire nous montrera qu’il n’était pas au bout de ses peines.

ichtus-mini

Le printemps, puis l’été remplacèrent la grisaille dans le cœur du Pasteur Jo qui avait repris l’étude de sa Bible qu’il connaissait pourtant si bien. L’obéissance. Cela le tracassait.

Il rencontra encore son évêque qui le rassura en lui disant que la théorie et la pratique étaient deux choses bien différentes, et, que si il exigeait l’obéissance de ses ouailles, elles auraient tôt fait de se tourner vers la concurrence. Non, il fallait de l’amour et de la patience. Le Seigneur arrose ce qu’Il a planté, et Il est souverain pour la croissance de Ses petits qui ne peuvent grandir trop vite au risque de devenir trop spirituels et de tomber sous le jugement du diable.

- Vous êtes jeune mon garçon, vous avez l’avenir devant vous. Ecoutez vos anciens et vous verrez, tout ira bien.

A demi convaincu, Jo regagna sa paroisse.

Madame Schneider, diaconesse, tenait les cordons de la bourse. C’est elle qui décidait les sommes à allouer au groupe de jeunes, à la chorale, à la librairie et régnait en maître sur l’organisation matérielle de la communauté.

Il y a quelque temps encore, Jo était enchanté de ce cadeau du ciel qui prenait en charge une bonne part de son travail et lui évitait de prendre des décisions quelquefois pénibles quand on sait que dans une église tout le monde n’est pas toujours d’accord, et il y a souvent quelques tiraillements pour ne pas dire des grincements de dents.
Se retrancher derrière Madame Schneider était bien pratique et, comme elle est généreuse donatrice, mieux vaut peut-être ne pas la fâcher.

Une dissension apparut pourtant quand il fallut décider des crédits pour un nouvel exercice. Nous ne raconterons pas la querelle, car querelle il y eut.
L’ambiance de la paroisse, d’habitude si tranquille, fut troublée par le soudain besoin du groupe de jeunes, managé de main de maître pas un Louis Jiménez méconnaissable, d’aller évangéliser sur les plages, et qui demandait une obole pour acheter quelque matériel utile à la propagation de la Bonne Nouvelle.
Prétextant qu’ils y allaient pour se dorer au soleil, ce qui n’était pas tout à fait faux, et que les églises de la côte n’avaient qu’à évangéliser elles mêmes, la pingre refusa tout net de débloquer les sous malgré l’avis des frères qui, d’après elle, n’avaient pas leur mot à dire sur la question.

- Jésus, quelle est ta volonté demanda le Pasteur
- Mais que vous alliez évangéliser, pardi !
- Elle ne veut pas
- Mais, qui est ce qui commande ici ?
- Pour ça, c’est elle
- Bon, va lui dire que c’est terminé !

Jo avait maintenant appris à obéir à son Seigneur.
Personne ne sut ce qu’ils se dirent dans le petit bureau à droite de l’estrade ce dimanche-là après le culte. Par contre, quelques heures après, tout le village savait que le Pasteur Jo était devenu fou, qu’il voulait dépenser l’argent de l’église pour des bêtises et qu’on ne pouvait plus lui faire confiance et, et…

- Seigneur, tu vois, j’ai obéi, elle les dresse tous contre moi, aide moi, sinon, nous allons vers la division.

C’est ce qui arriva.
Nous vous faisons grâce de la relation de la bataille peu glorieuse qui suivit cette mémorable décision. Toujours est-il que l’évêque avisé, très avisé même, somma notre ami Jo de se rétracter, de s’excuser, et de redonner la place à notre trésorière. Elle n’en voulait d’ailleurs plus tant que le Pasteur serait là. Qu’allons nous faire ?

- Penchons nous dans la prière proposa niaisement Jo qui n’avait rien compris.
- Mon frère, ce n’est pas l’affaire de Dieu, c’est une affaire d’homme à régler entre nous. Nous ne pouvons perdre en ce moment une partie de l’église, vous comprenez, les finances de la fédération…

- Jésus, que dois-je faire pria Jo tout seul ?
- Débrouille toi fit le Christ plein d’amour.

Le partage reprit entre les hommes de Dieu.

- Si je comprends bien, dit Jo à son supérieur, elle dit: C’est Madame Schneider ou moi !
- C’est à peu près cela répondit le prélat.
- Que préférez vous frère; Elle ou moi ?

Nous avons tous déjà compris le choix de l’autorité, et le Pasteur Jo, maintenant soumis à La Grâce, quitta sa charge pour une autre paroisse de la fédération; Avec mille regrets.

Lire la suite...
Chapitre 2 ou le malaise de Jo

Alerte d'édition

Les commentaires sont fermés.